Ma Saintoune

Je n'étais pas né encore, que je connaissais sainte Bernadette.
Je l'ai connue la première fois alors que j'étais loin d'elle.
Une mer nous séparait, ainsi qu'une chaîne de montagnes. Ses Pyrénées, mes Pyrénées.
Cela se fit après un long voyage sur la méditerranée. Ce n'était pas moi qui l'effectuait, mais ma grand-mère paternelle.
La grotte, le Gave, le funiculaire, le téléphérique, les cimes enneigées auréolées de nuages, où arpente l'isard, majestueux dans sa pose, que de merveilles projetées à mes yeux avant de connaître ma petite Sainte.
C'est Marie qui m'a permis de connaître tout ça. Comme Elle était aimée dans mon village où une statue y est immergée ! Guérisseur des malades, défenseur des pauvres, protectrice des enfants, combien de vocables n'a-t-Elle pas entendues dans les rosaires ou les processions qui se déroulaient durant l'année ?
Parmi ces souvenirs lointains, où le vécu et le passé chevauchent avec la réalité, je me rappelle même avoir bu l'eau de la source miraculeuse, rapportée dans une gourde.
Je suis né, en fait, en France, sur un parcours étrangement tracé par ma grand-mère, car l'Algérie, ce ne fut qu'un songe qui révéla une enfance heureuse. Un songe qu'on assassina.
La réalité de ce petit univers de Lourdes a pris vraiment ses dimensions lorsque la grotte de Massabielle s'est offerte à mes yeux, à l'aurore de mon adolescence, dans une chaleur estivale. Une image fugitive toutefois, qui s'éloignait alors que le train avançait en direction d'une ville encore inconnue pour moi, et ce merveilleux pays basque peuplé de vaches que j'allais découvrir.
Je me rappelai alors de ces images rapportées par ma grand-mère. J'entends encore le déclic provoqué par mon doigt sur cette appareil qui ressemblait à des longues-vues, et qui allait constituer un puzzle au fur et à mesure d'une poussée de mon doigt.
La vue du rocher et de sa basilique me disait que ma mémoire connaissait ce lieu, que je connaissais Sainte Bernadette. La Vierge Marie, Elle, je la connaissais déjà, je l'ai toujours connue.
Bien plus tard, quand j'allais séjourner à Lourdes, le climat des montagnes ibériques recentra mes connaissances dans leur juste contexte. Ma première traversée de Lourdes, rapide, furtive, au début de l'été a été insipide. On ne peut palper la vie de sainte Bernadette si on a pas affronté le climat rude de l'hiver, un froid vif, sec ou humide, au gré du temps, agrémenté parfois de brouillard, qui vous propulse directement sur les hauteurs de Gavarnie où se niche la marmotte, de sa Brèche (de) Roland et des sommets les plus élevés.
Le mouvement de l'eau qui apporte la vie, a ensuite rendu mobile ce paysage inanimé et figé dans ma mémoire. Le Gave, silencieux, comme si lui aussi priait devant la statue de l'Immaculée Conception, le déferlement des cascades aux alentours, avec leur seule envie de se faire entendre pour se faire admirer, comment ne pas savourer ce merveilleux spectacle ?
Loin du grondement des eaux tumultueuses de Cauterets et du Pont d'Espagne, qui m'a fait penser à la mer dans ses jours de colère, je me suis plu à écouter le paysage du lac de Gaube. Son silence profond, enivrant, envoûtant, ponctué de temps à autre par le sifflement bref d'oiseaux, a sorti de l'oubli le pacte d'amour liant depuis toujours l'homme à la nature et à Son Créateur. De ces retrouvailles, ont jailli sérénité et paix.
Dévalant la vallée d'Ossau, l'eau va encore faire le spectacle en se faufilant au milieu d'un troupeau de vaches, de chevaux et de moutons. Je les ai longuement accompagnés de mon regard, admirant leurs grâces et écoutant la fanfare de leurs cloches dans ce décor de vert-pâturage où évolue la vie au ralenti.
Les vaches, j'en ai déjà vues, presque en "surnombre" dans le pays basque, mais je ne les ai jamais observées d'un regard maternel.
Captif d'une diapositive, dans mon rêve nostalgique, l'aigle, lui aussi, s'est défait de son immobilisme pour tournoyer dans le ciel d'Aspin, gris ce jour là, rempli de nuages entremêlés, comme pour admirer tout cela. Qu'on ne s'y trompe pas, ses yeux perçants sont à la recherche d'une proie. Gare à la brebis égarée ! C'est elle qui vient à mon esprit, car j'entends le tintement peu éloigné de clochettes. Et je repense alors à Sainte Bernadette qui a laissé, au delà de ses empreintes sur terre, une marque dans mon cœur.
Ce tableau vivant m'a permis de faire un bout de chemin en sa compagnie. Cependant, il aura fallu que je la vois sous les traits de Sydney Penny qui joua admirablement bien son rôle, pour aimer sœur Marie-Bernarde. Je l'aimais déjà. Comment ne pas aduler quelqu'un à qui la Vierge Marie apparaît ? Dans la deuxième partie du film de Jean Delannoy, "la passion de Ste Bernadette", où ma sensibilité d'ailleurs fut mise à nue, je me suis pris de sympathie et de compassion pour la Saintoune, pour son humour, son innocence, sa souffrance, son amour. Je l'ai aimée, parce qu'il y avait Dieu en elle.
Quand je me suis présenté enfin à Sainte Bernadette, elle dormait profondément, loin de son monde de l'enfance, tout comme moi. Son visage était reposé, docile.
C'est alors, à la pensée qu'elle fut soustrait durant sa vie de la magie de ses montagnes, qu'un chagrin m'envahit pour m'extirper quelques larmes.

(J. de C. 20-8-2004)

Texte "Ma Saintoune" que l'on retrouve dans le roman de J de C, "Le songe assassiné"

Le songe assassiné (extrait)