SAINTE
RITA DE CASCIA
1381-1457
fêtée le 22 mai
UNE
ENFANT PREDESTINEE
Nous sommes en 1380. Il y a un demi-siècle que la
guerre de Cent Ans est commencée entre l'Angleterre et la France. Jeanne d'Arc
n'est pas encore née, et il faudra attendre encore cinquante ans pour qu'elle
délivre la France. Pendant ce temps, à Cascia, petit village d'Ombrie sis dans
les monts Apennins à 150 km environ au nord de Rome, au hameau de Roccaporena,
vit le ménage d'Antonio Lotti et Amata Mancini; les époux, qui s'aiment tendrement,
font l'édification de leur entourage; ils pratiquent fidèlement les vertus évangéliques,
en particulier ce sont des artisans de paix - on les a surnommés porte-paix -
car ils s'efforcent, et le plus souvent avec succès, de régler à l'amiable les
différends entre leurs voisins. Mariés depuis déjà un certain nombre d'années,
ils auraient tout pour être parfaitement heureux, si le Ciel leur avait donné
la joie d'avoir des enfants. Mais Amata commence à vieillir et ils n'osent plus
espérer.
C'est alors qu'un jour d'automne, tandis qu'elle vaquait
aux travaux du ménage, Amata entendit un souffle de vent, puis une voix lui murmura:
« Ne crains rien, Amata, tu vas donner le jour à une petite fille. Antonio et
toi vous l'aimerez tendrement! Et le Seigneur l'aimera encore plus! » Le soir
venu, elle confia à Antonio les paroles de l'Ange - car qui donc, sinon un ange,
aurait pu apporter ce message?
A quelque temps de là, un nouveau souffle
de vent se fit entendre et la même voix lui dit: « Amata, le jour approche. Cette
enfant, tu la nommeras Rita, en l'honneur de sainte Margherita. Ce petit nom,
par elle deviendra un grand nom!» Le mot margarita, en latin, veut dire perle.
Nous verrons que cette enfant fut bien en effet une perle pour l'Eglise.
C'est ainsi qu'au mois de mai 1381 est née au foyer des Loto la petite Margherita. Tous les voisins sont venus complimenter les heureux parents et en même temps ils ont été surpris du prénom qui lui a été donné, car ce n'est la tradition dans aucune des deux familles. Le curé de Cascia lui-même doit se faire prier pour la baptiser sous un surnom, ce qui non plus n'est pas l'usage.
Rita pouvait avoir à peine un an. Ses parents étaient partis travailler aux champs
et, comme il faisait beau, ils l'avaient emmenée avec eux, couchée à l'ombre dans
une corbeille d'osier. Un paysan, qui venait de se blesser avec sa faucille, se
hâte de rentrer chez lui pour se soigner. Passant devant la petite fille, il est
tout surpris de voir un essaim d'abeilles voleter au-dessus d'elle; les insectes
entrent même dans sa bouche, mais ne lui font aucun mal. La petite Rita se contente
de sourire. Cependant il approche sa main blessée pour chasser les abeilles et,
comme il la retire, il constate qu'elle est parfaitement guérie. Plus la peine
donc de rentrer chez lui. Alors il s'empresse de raconter son aventure aux parents,
qui travaillent à proximité. Les parents, et avec eux tout le village, se demandent:
« Que sera donc cette enfant?»
La petite Rita grandit dans ce foyer si profondément chrétien où l'on est reconnaissant à Dieu pour la grande faveur si longtemps attendue. Elle reçoit tous les principes et les exemples que l'on était en droit d'attendre dans une telle famille. Dès qu'elle est en âge de comprendre, ses parents lui apprennent ses prières et suscitent en elle l'amour de Dieu et de la Vierge Marie. Très tôt Rita s'impose elle-même de petites mortifications et refuse toute coquetterie. Spontanément elle fait tout ce qu'elle peut pour aider ses vieux parents. Vers l'âge de douze à quatorze ans, elle commence à penser à la vie religieuse, pour pouvoir se consacrer à la contemplation de la Passion du Sauveur.
EPOUSE ET MÈRE DE FAMILLE
Ses parents, eux aussi, pensent à son avenir, mais pas sous le même jour:
ils n'envisagent pas pour elle la vie du cloître; ils lui cherchent même un mari
et, un jour, lui font rencontrer Paolo à qui ils la fiancent. C'était alors l'usage.
Les parents sont flattés, car Paolo est d'une condition sociale supérieure à la
leur, mais Rita est loin d'être enchantée, car ce projet signifie qu'elle doit
renoncer à la vie religieuse et, en outre, Paolo a la réputation d'être brutal,
buveur et jouisseur. Elle essaie de protester, mais ses parents sont inflexibles
et puisqu'ils en ont décidé ainsi, elle croit y voir la volonté de Dieu, se disant
qu'Il ne la juge sans doute pas digne d'embrasser l'état religieux. Il est également
possible qu'elle ait vu aussi dans ce mariage la possibilité d'aider plus efficacement
ses vieux parents.
Le tempérament autoritaire et brutal de
Paolo ne fait que se confirmer après son mariage. Après quelques semaines de lune
de miel, le naturel reprend le dessus et la pauvre Rita souffre en silence, sans
jamais se départir de sa douceur et de sa patience. Elle est si douce que ses
voisines, qui se rendent bien compte de la situation, la surnomment la femme sans
rancune. Rita offre ses souffrances pour la conversion de son mari; elle y ajoute
des mortifications de toutes sortes, notamment des jeûnes fréquents.
Paolo désire ardemment avoir un héritier pour perpétuer sa lignée. Bientôt Rita attend cet heureux événement et le ménage sera comblé, pour un temps du moins, car elle va donner le jour à des jumeaux. Paolo, qui a enfin reconnu les qualités exceptionnelles de son épouse, a fini par s'adoucir à son contact, et le ménage a vécu des années de bonheur véritable, que ne laissaient pas présager les orages du début.
LE MALHEUR S'ABAT SUR LA FAMILLE
Mais ce
bonheur n'allait pas durer. Un soir d'hiver, alors que la tempête gronde au dehors,
un voisin vient prévenir Rita que Paolo est tombé dans une embuscade. Quand elle
arrive à son chevet, il a rendu le dernier soupir, mais le voisin témoin de ses
derniers moments l'assure que ses dernières paroles ont été un mot de pardon pour
ses agresseurs et une prière adressée à Dieu. Rita se console à la pensée que
son Paolo est mort en chrétien, le meilleur gage de leurs retrouvailles en Paradis.
On rapporte même qu'une révélation du Ciel lui avait fait savoir que son mari
était sauvé. Ils avaient vécu dix-huit années ensemble.
Les jumeaux, eux, n'ont pas pardonné aussi facilement que leur mère. Ils n'ont à la bouche que le mot de vengeance, sentiment bien humain peut-être, mais si peu chrétien. Rita a beau essayer de leur répéter que celui qui ne pardonne pas ne pourra pas être lui-même pardonné et qu'il compromet gravement son salut éternel, ils ne veulent pas comprendre. Rita redouble de prières et de pénitences pour leur conversion. Comme ils s'obstinaient dans leurs sentiments de vengeance, Rita aurait même demandé au Seigneur qu'ils meurent en pardonnant plutôt que de vivre sans pardonner. Quelques mois après la mort de Paolo, les jumeaux sont pris de frissons au retour des champs; aucun remède ne se révèle efficace et la maladie empire rapidement. Rita leur fait administrer les derniers sacrements et, après avoir enfin pardonné au meurtrier de leur père, ils s'éteignent l'un et l'autre à quelques jours d'intervalle. Rita avait déjà perdu ses parents depuis plusieurs années et maintenant, en l'espace de quelques mois, elle perd son mari et ses deux enfants.
RELIGIEUSE
Maintenant qu'elle se retrouve seule ici-bas, Rita se souvient de sa vocation
religieuse et elle va frapper à la porte du monastère de SainteMarie-Madeleine,
à Cascia. L'abbesse la reçoit, l'écoute et promet de soumettre son cas au chapitre.
Mais lorsque Rita vient chercher la réponse, l'abbesse lui fait savoir qu'il n'est
pas possible de la recevoir, la congrégation, conçue pour les jeunes filles, ne
pouvant pas accueillir des veuves. Rita ne se décourage pas et, à quelque temps
de là, elle renouvelle sa demande et obtient le même refus. Une troisième demande
aboutit au même échec.
La véritable raison du refus de l'abbesse
semble avoir été tout autre. Dans le monastère de Cascia, il y avait des religieuses
appartenant aux deux clans ennemis du pays, et par conséquent certaines d'entre
elles à celui de l'assassin de Paolo. Avant de pouvoir entrer, il fallait que
les clans soient réconciliés. Rita, qui en est convaincue, prend son bâton de
pèlerin et va de porte en porte en messagère de paix, et le miracle s'accomplit:
tous les habitants du village se réconcilient. Elle continue à prier et voilà
que l'impossible se produit. Un soir d'hiver, elle s'entend appeler du dehors
par son nom. Ouvrant la porte, elle voit un inconnu, vêtu d'une peau de bête,
en tout semblable au saint Jean-Baptiste de la statue de l'église. Le personnage
lui fait signe de le suivre; Rita prend sa cape et le suit jusqu'au rocher qui
domine le hameau de Roccaporena. Là, deux autres saints se joignent à eux: saint
Augustin et saint Nicolas de Myre. Tout à coup, sans savoir comment, notre héroïne
se trouve tout simplement à l'intérieur de la chapelle du monastère!
Voyant
le prodige, l'abbesse s'enquiert auprès de la soeur tourière pour savoir si toutes
les portes ont bien été barricadées la veille au soir. Sur sa réponse affirmative,
l'abbesse demande des explications à celle qui s'est permis une telle effraction
et Rita lui répond simplement: «Le Seigneur le voulait ainsi, ma Mère!» - «Qui
donc s'est fait votre complice pour vous faire entrer?» Rita lui raconte alors
exactement comment les choses se sont passées et qui l'a «aidée». Après en avoir
délibéré au chapitre avec les autres soeurs, l'abbesse accepte enfin de prendre
Rita comme novice afin, dit-elle, « de ne pas aller contre la volonté de Dieu
».
Elle sera une postulante exemplaire, puis une novice modèle.
Détachée désormais de toute affection terrestre, elle pourra prononcer sans difficulté
les trois voeux monastiques. L'abbesse et la maîtresse des novices ne lui épargneront
rien, aucune brimade, aucune humiliation, mais elles ne viendront jamais à bout
de sa patience et de sa douceur. Pour l'éprouver sa supérieure lui demande d'arroser
tous les jours, matin et soir, un bout de bois desséché planté dans le sol. Cela
peut paraître absurde, mais soeur Rita, sans se poser de questions, obéit... La
plus surprise a été la supérieure car, au bout d'un certain temps, le bout de
bois bourgeonne, fleurit puis donne de magnifiques grappes de raisin!
Ayant donné suffisamment de preuves de son obéissance, de son humilité et de sa piété, soeur Rita est admise à faire profession. Elle s'engage à vivre selon la règle de saint Augustin. Avec ses soeurs, la nouvelle professe va pouvoir sortir pour secourir les pauvres et les malades; elle a pour cela un véritable don.
LE STIGMATE DE L'ÉPINE
Soeur Rita veut se
conformer en tout à son Divin Maître. Pour souffrir comme Lui, elle porte un cilice,
se flagelle plusieurs fois par jour, au point qu'un jour ses soeurs l'ont trouvée
évanouie dans sa cellule. Mais pour elle ce n'est pas encore assez. En 1443, le
carême est prêché à la paroisse par un franciscain célèbre de l'époque. Tout Cascia
veut l'entendre et les soeurs du monastère font partie de l'auditoire.
Le
Vendredi saint, comme il commente avec un réalisme saisissant les douleurs de
la Passion du Sauveur, soeur Rita supplie le Seigneur qu'au moins une des épines
de Sa couronne vienne blesser son front... et soudain une des épines de plâtre
du grand crucifix vient se ficher en plein milieu de son front. La douleur est
si vive que Rita s'évanouit. Le lendemain matin, la plaie s'est agrandie et émet
une odeur repoussante. La plaie ne se guérissant pas et l'odeur restant toujours
aussi désagréable, l'abbesse la relègue dans une cellule au fond d'un couloir.
Quelques années passent et le pape décrète que l'année 1450 sera une année
jubilaire. Une délégation du monastère doit prendre part aux cérémonies qui se
dérouleront à Rome. Soeur Rita émet le désir d'en faire partie. L'abbesse lui
répond qu'elle l'y enverrait volontiers, mais que ce n'est pas possible avec sa
blessure suppurante et malodorante. Notre soeur est sûre d'être guérie en temps
voulu, et en effet, quelques jours avant la date prévue pour le départ, le front
de soeur Rita ne porte plus la moindre trace du stigmate; toutefois les douleurs
n'avaient pas disparu. L'abbesse l'a placée à la tête de la délégation. Comme
en chemin les soeurs se demandaient si elles auraient assez d'argent pour aller
jusqu'au bout, soeur Rita vit dans cette inquiétude un manque de confiance en
la Providence et, devant ses soeurs horrifiées, elle jeta toutes les pièces de
monnaie dans le torrent; mais on ne manqua de rien, pas plus au retour qu'à l'aller.
LES
DERNIERS TEMPS
De retour à Cascia, conformément à la prière de soeur
Rita, le stigmate de l'épine réapparut sur son front et l'odeur avec. Notre soeur
reprit donc sa vie de recluse, méditant sans cesse la Passion du Sauveur dans
un jeûne quasi total: elle ne recevait pour toute nourriture que l'Eucharistie.
En 1457, soeur Rita est épuisée par une vie de souffrances
et de pénitences; sa fin prochaine ne fait plus de doute pour personne. La soeur
qui lui a été affectée comme infirmière hésite à entrer dans sa cellule, tant
l'odeur dégagée par la plaie est repoussante. Une cousine vient cependant lui
faire visite et Rita lui fait une demande stupéfiante: elle voudrait que sa cousine
lui apporte une rose qui, dit-elle, se trouve sur le rosier de son ancien jardin.
Comme on est au coeur de l'hiver et que la terre est recouverte de neige, on croit
qu'elle délire. Néanmoins, la cousine, par curiosité, va voir et, contre toute
attente, trouve une rose splendide et délicieusement parfumée. Elle la cueille
et l'apporte à Rita. Une bouture de ce rosier a été plantée dans le jardin du
monastère et, depuis cinq siècles, l'arbuste vit toujours.
La
cousine revient voir Rita qui, cette fois, lui demande des figues de son ancien
figuier. La cousine va voir; tous les arbres sont dépouillés: ni feuilles, ni
fruits... sauf sur le figuier en question sur lequel se trouvent deux fruits magnifiques
qu'elle rapporte à la malade.
Les forces de soeur Rita continuent
à décliner. Un jour elle reçoit la visite de Notre-Seigneur accompagné de sa très
sainte Mère; comme elle Lui demande: «Quand donc, Jésus, pourrai-je vous posséder
pour toujours?» - «Dans trois jours, répond le Seigneur, tu seras avec Moi, au
Ciel.» Soeur Rita demande à recevoir les derniers sacrements. Au jour annoncé
par Jésus, elle demande à l'abbesse sa bénédiction et, dès qu'elle l'a reçue,
elle expire doucement. C'était un 22 mai, probablement 1457. (Certains historiens
placent sa mort en 1447, mais il nous paraît impossible de retenir cette date
si l'on doit admettre que soeur Rita a participé au jubilé, à Rome, lors de l'année
sainte 1450.)
Aussitôt notre sainte partie pour le Ciel, la cloche du monastère s'est mise à sonner d'elle-même; quant à sa cellule, dont personne ne voulait approcher à cause de l'odeur nauséabonde de sa plaie, elle était remplie de lumière et délicieusement parfumée. On peut vraiment dire qu'elle était morte en odeur de sainteté. Une des soeurs du monastère avait un bras paralysé; elle voulut embrasser soeur Rita et, en se relevant, elle constata que son bras avait été instantanément guéri. Le corps de soeur Rita, depuis plus de cinq cents ans, est toujours parfaitement conservé; il est placé dans une châsse exposée dans 1a basilique de Cascia. Béatifiée par Urbain VIII en 1628, sainte Rita a été canonisée le 24 mai 1900 par Léon XIII, qui a fixé sa fête au 22 mai, jour anniversaire de sa mort. (D'après Louis Couëtte, Stella Maris)
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