JOURNAL D'UN PRÊTRE AFRICAIN
Dieu ne dort jamais

Dans les années 90 le père Antoine, natif de l'ex Zaïre, ou ex Congo belge, est venu en France, à la suite de sa conversion (*), pour suivre des cours à l'école internationale de formation et d'Evangélisation, entamer des études de philosophie et suivre le second cycle de théologie.

(*) La prise en main d'une vie sage pour moi est passée par la rencontre de l'Evangile de Jésus-Christ. En effet, tout s'est passé au cours de ma rencontre avec un prêtre de mon diocèse de TSHUMBE (RDC) en 1978, J'étais parti à la messe, non par conviction, mais par curiosité : pour le voir et voir sa voiture, II prononça quelques paroles qui me troublèrent : « Jésus c'est quelqu'un qui est vivant. Il est mort et il est ressuscité. Il va vous libérer de vos péchés et vous donner la vie éternelle ».
J'ai donc décidé de le suivre. J'ai été baptisé en 1980.

Dans une courte biographie sommaire, cet homme sorti tout droit de la brousse, en opposition totale avec le monde civilisé et riche, qui ne savait pas qu'il allait se trouver confronté non seulement à l'avancée du monde moderne, mais aussi à des idées reçues, nous livre ses émotions qui interpellent notre conscience chrétienne, héritage de la fille aînée de l'Eglise, et dont nous reproduisons ici quelques passages :

Le dimanche il fallait aller à la messe. Une des premières surprises : en Afrique pour avoir de la place à la messe il faut aller le plus vite possible. Et comme j'avais vu beaucoup de blancs à l'aéroport(*) et que pour moi tout blanc croit en Dieu (les blancs que j'ai connus en Afrique sont des missionnaires qui vont à la messe) je me suis dit : "demain qu 'est-ce que cela sera dans l'église !"
Je suis parti avec cette idée et je me suis mis devant. Chant d'entrée, Gloria, homélie, je me retourne et retourne, personne n'arrive. J'ai pensé : "il doit y avoir un problème".
J'avais 24 ans quand je suis arrivé en Europe et j'étais presque le plus jeune à cette messe. Cela a été un choc de voir qu'il n'y avait pas de monde à la messe.

(*) Quand nous sommes arrivés à Roissy Charles de Gaulle, il y avait un monde fou -que des blancs-j'en avais presque le vertige et nous étions tous serrés les uns derrière les autres. Comment en sortir?
- Comment est ce que tout ce monde va trouver des voitures pour les ramener chez eux ?
Comme nous étions arrivés le samedi, je me suis dis : est ce que je trouverai une place demain dans l'Eglise?
Autre question, pourquoi, tous ces blancs avaient tous les têtes citronnées ? C'est à dire qu'ils ne souriaient pas.

'En Afrique les hommes se baignent entre eux, les femmes entre elles. Nous avons de la pudeur et nous ne mélangeons pas les sexes. J'arrive au bord de la mer et il y avait même des personnes sans soutien-gorge. Je ne voulais même pas mettre les pieds dans l'eau. Dans notre culture c'est impensable de se baigner ensemble. Quand j'ai vu les filles qui étaient avec nous comme ma correspondante le faire devant moi, j'étais vraiment scandalisé. Je suis resté avec mes chaussures, je n'ai pas enlevé un bout de vêtement.

'La Gaule(*) , la fille aînée de l'Eglise semble, hélas, avoir perdu la tête et les jeunes ne vont guère à l'église. Aussi les nouvelles communautés organisent ce qu'on appelle l'évangélisation des rues. Nous partions dans la rue principale d'Aix, le cours Mirabeau, nous déposions l'icône de la Très Sainte Vierge Marie, une grande photo du Saint Père. Nous choisissions les moments liturgiques les plus importants comme le temps de Noël, de Pâques ou de la Pentecôte pour indiquer aux personnes qu'il y aurait une messe à la paroisse pour telle ou telle circonstance. Les gens s'arrêtaient, nous posaient des questions et souvent nous demandaient si nous n'étions pas une secte. On en prenait plein la figure mais cela portait du fruit comme j'en ai fait l'expérience.
Ainsi une jeune fille, qui ne mettait pas les pieds à l'église, après avoir parlé avec moi, a accepté un rendez-vous. Elle est venue au séminaire. Et un jour elle m'a invité chez elle. Or, elle habitait seule et j'avais vraiment peur, moi séminariste de me rendre chez une jeune fille seule. Mais je suis parti quand même en suppliant la Vierge Marie et le Seigneur de me préserver. Une fois chez elle je lui ai raconté comment le Seigneur m'avait: évangélisé dans la brousse et elle s'est mise à pleurer.
Je lui ai dit : "cela ne sert à rien de pleurer. Mais si tu veux cheminer dans l'Eglise, je suis prêt à t'accompagner pour que tu puisses grandir et recevoir le baptême." Je suis ensuite allé voir mon père spirituel pour lui en parler. Il a accepté : "C'est bien, essaie de trouver du temps pour elle afin qu'elle reçoive le baptême".
Au bout d'un an et demi elle a reçu le baptême. Aujourd'hui elle est mariée, elle est même dans la communauté de l'Emmanuel. En outre, sa sœur a fait un cheminement semblable, elle a été baptisée elle aussi et maintenant elle est consacrée au sein de la communauté de l'Emmanuel.

(*) La France

Un jour j'écoutais "la voix de l'Amérique" dans ses émissions vers l'Afrique. Ils annonçaient qu'un avion du Zaïre s'était écrasé et que les 45 passagers étaient morts. Une semaine après, j'ai su que ma sœur, son mari, ses trois enfants et une des mes nièces étaient dans l'avion dont il n'y avait plus que des restes d'aluminium calciné. Cela a été pour moi une très grosse blessure affective. Je n'écoutais plus personne. Je n'ai pas mis Dieu en doute mais cela a été un très rude combat, je ne voulais plus rien savoir. Pendant deux ou trois semaines de « trou noir » j'étais devenu inconsolable.

Dans l'histoire de ma vie, il y a un aspect important à développer : l'expérience de la maladie. Cette maladie, la drepanocytose, c'est à dire la déformation des globules rouges dans l'organisme, est une maladie génétique héréditaire, transmise par les parents, le père ou la mère. Elle est propre à l'afrique. Je peux même dire que cette maladie touche particulièrement ceux qui ont la peau noire. Ainsi donc, je suis né avec.
Un jour où je célébrais la messe à l'hôpital une infirmière est entrée dans ma chambre. A la fin de la messe elle a commencé à me poser des questions sur la foi chrétienne. J'essayais de lui répondre avec l'humour nécessaire pour l'aider à comprendre. A sa grande surprise, malgré les calmants très forts comme la morphine, je gardais toute ma tête et la capacité de faire de l'humour. Elle était morte de rire lorsque je lui ai raconté des histoires de l'époque de ma conversion. Je lui ai expliqué l'importance de la confession et elle m'a très simplement demandé : "est-ce que cela vous ennuierait de me confesser ?"
J'ai répondu: "C'est une grande joie."
J'ai mis aussitôt mon étole et je l'ai confessée.
Elle était en larmes et moi-même j'étais stupéfait de la voir dans cet état.

L'angoisse de la mort
On m'a installé avec des personnes en phase terminale. J'ai réalisé que c'est au milieu de la nuit ou vers le matin que les gens mouraient. Le fait de me retrouver là, avec toute ma lucidité était très dur, d'autant plus que je m'imaginais arriver à cet état, ce qui n'était pas improbable, car tous mes membres inférieurs étaient paralysés. Les infirmières pour atténuer la douleur atroce venaient me donner de la cortisone, de la morphine etc. Une forme de désespoir commençait à monter dans mon cœur. C'est inexprimable mais la prière, la célébration de la sainte Messe dans mon lit d'hôpital (j'avais emporté une petite valise chapelle achetée à Lourdes) m'ont permis de tout offrir au Seigneur pour ceux qui souffrent plus que moi.

Ceux qui me connaissent, savent bien que, depuis que je suis prêtre, je ne veux plus qu'on m'apporte la communion. Je célèbre moi même la Sainte Messe dans ma chambre de l'hôpital en cas d'hospitalisation. J'avais un voisin qui partageait la même chambre que moi. Je lui ai posé la question de savoir si ça ne le dérangeait pas de baisser le son de la télévision pour que je puisse célébrer la messe. Il a répondu : « vous êtes prêtre ? » Oui, lui ai-je répondu. « Mais où allez-vous célébrer votre messe ? » Ici dans notre chambre. « Ah bon ! » s'est -il exclamé ! Il continue : « ça vous ennuie que je participe à votre messe ? ». Pas du tout. Bien au contraire. Je suis plutôt content. J'avais peur de vous déranger. « Mais mon Père, cela fait plus de 15 ans je ne suis allé à confesse. Ça ne vous dérange pas de me confesser avant la messe ? ». C'est une joie pour un prêtre de célébrer ce sacrement. Aussitôt, je me suis rapproché de lui en poussant ma pompe à morphine et perfusion et mes tuyaux d'oxygène. J'ai mis ma petite étole violette. Et j'ai commencé à l'écouter. Pendant tout le temps où il se confessait, il n'arrêtait pas de pleurer d'émotion et de joie. Surtout au moment de l'absolution de ses péchés. Il m'a embrassé et nous étions tous les deux dans la joie et je commençais pleurer avec lui de joie. Après ce moment d'émotion nous avons commencé à nous préparer pour célébrer la messe. Pendant la messe, une infirmière est venue, puis quand elle m'a vu avec mon ornement de la messe, elle a dit: « Oh ! Pardon ». Puis elle fermé la porte et elle est partie. Nous avons continué notre messe. Mon voisin, à la fin de la messe, dans son émotion, m'a dit : « combien je vous dois pour tout ce que vous venez de faire pour moi ce soir ». Je lui ai répondu, les sacrements de l'Eglise ne se monnayent jamais. Le Christ se donne gratuitement à ceux qui Le désirent. Si par ces sacrements de la réconciliation et de la messe, vous êtes content, à vous de garder comme souvenir de votre rencontre avec le Christ par les mains de son P.P.P.P.P.P. J'ai fait exprès d'insérer cette pointe d'humour pour lui faire tomber son émotion. Alors, il m'a dit : « qu'est ce que ça veut dire P.P.P.P.P... ? ». Je lui ai répondu : Pauvre Petit Prêtre Pécheur Pardonné que je suis... « Vous êtes sûr que les prêtres sont des pécheurs ? » Tant que nous sommes sur cette terre, du Pauvre Petit Pontife Pape Polonais Pécheur Pardonné jusqu'aux derniers des baptisés, nous avons tous besoin du pardon du Seigneur. On n'est pas des saints. Mais nous sommes tous appelés à la sainteté... Quand il entendit que je parlais du Pape, il a attrapé un fou rire incroyable. Et notre soirée fut marquée par différents témoignages de mes expériences chrétiennes.

Retour en Afrique
Voici une anecdote : un jour j'étais parti en moto célébrer la messe de Noël en brousse, la première messe de Noël depuis mon ordination. Avant d'arriver au lieu de la célébration je suis tombé dans un trou d'eau : la moto a été noyée, les hosties trempées ainsi que tout le matériel pour la messe. La moto ne voulait plus démarrer. Il m'a fallu pourtant retourner dans ma paroisse, chez les pères passionnistes où j'habitais pour aller rechercher des hosties et des ornements. Quand je suis arrivé dans le village avec une ou deux heures de retard les gens m'attendaient sur place. Ils chantaient et louaient le Seigneur. J'étais stupéfait de voir leur ferveur, leur patience dans cette attente. Ils manifestaient bien leur désir d'avoir le Seigneur dans leur vie. Ce témoignage a beaucoup stimulé ma propre foi.

Le père Antoine se trouve actuellement en République Démocratique du Congo.
Sa lettre du 5 mai 2007 :

Après un long séjour de 7 ans en France pour des raisons de santé, voici que grâce à la science française et à vos prières, je me sens « mieux ». Certes, tout n'est pas fini. Mais il est temps pour moi de rejoindre mon pays qui a besoin de ses prêtres. Je suis nommé curé de la paroisse Sainte Véronique de SHINGA dans la ville de LODJA qui est le centre de notre Diocèse de TSHUMBE en République Démocratique du Congo, paroisse confiée à la Communauté de l'Emmanuel. Avec la grâce de Dieu, je partirai en R.D.CONGO fin septembre 2007 où peut être avant. Je compte sur vos prières et votre soutien afin que cette première expérience comme curé porte du fruit. Ce changement sera bien entendu nouveau dans ma vie tant sur le plan réadaptation alimentaire, sanitaire et matériel.. Mais je dois faire avec comme les autres qui vivent sur place et qui n'ont jamais vécu en Europe...J'aurai la joie d'être avec un autre prêtre de la Communauté de l'Emmanuel, qui sera vicaire.

(J.de C. 25/11/07)