LA SAMARITAINE
Midi, le soleil éclabousse de ses rayons brûlants le sable, la poussière ; l’air est desséché, nulle ombre ne se profile, chaque chose, chaque être fait un avec ce qu’il est et l’ombre qui l’habite.
La samaritaine se traîne d’un pas lourd vers le puits de Jacob. Tout est lourd en elle, sa cruche vide en équilibre sur sa tête pèse autant que le poids de sa vie. Sa main tente de la maintenir car le vide la rend vulnérable et à tout moment, elle peut se briser sur le sol aride, rocailleux.
La Samaritaine est perdue dans ses pensées, son cœur est sec autant que l’air qu’elle respire, autant que sa vie abîmée, donnée en pâture à l’amour profiteur des hommes. Elle sait que son cœur généreux, prompt à aimer et à être aimée, l’a conduit sur des sentiers qui l’ont égarée.
Elle avance le regard vide, déplaçant la poussière de ses sandales autant que la poussière de son âme fatiguée. Chaque jour, elle fait ce même chemin jusqu’au puits, instant de silence qui la sépare de sa vie tumultueuse, décevante du puits de Ses Pères dans la foi.
Qu’espère t’elle ? Rien sans doute car son cœur, son âme, son corps sont trop lourds de remords, de néant pour espérer encore, trop pleins de vide pour laisser la place à une quelconque espérance ! Pour fuir le regard des autres, se fuir elle-même, la Samaritaine vient chaque jour au puits à l’heure la plus chaude, heure où elle sait que personne ne sort à cet instant tant le soleil accable, brûle, sèche. Instant brûlant où toute la solitude de son âme est à « son zénith ». Démarche de pénitence pour subir la brûlure du soleil, la brûlure de la soif, souffrir encore pour dépasser les souffrances qui l’habitent ? Se faire mal pour s’humilier ?
Et elle avance vers son puits où, chaque jour, avec des gestes mécaniques empreints de grande lassitude, elle puisera l’eau enfouie si profondément. Mais la Samaritaine sursaute, aujourd’hui, elle n’est pas seule ! Y aurait-il plus insensé qu’elle pour être là, sous cette chaleur, à une heure pareille ? Un Juif de surcroît, cela se voit à son allure ! Intriguée, elle avance cependant, peut-être un peu déçue de la présence de cet étranger qui vient rompre la retraite silencieuse et douloureuse qu’elle s’impose chaque jou;r
« Donne moi à boire ! » Non, décidément aujourd’hui rien n’est comme d’habitude ! Quelqu’un ici, un juif, et en plus qui lui parle et lui demande à boire !
La Samaritaine sort de ces mornes réflexions silencieuses qu’elle ressassait sur son chemin de poussière. L’effet de surprise passé, elle tente par une question de saisir l’étrangeté de la situation : « toi, un juif, tu me demandes à boire ?! » Mais alors même qu’elle prononçait ces mots, son regard se figea sur celui de Jésus. Le regard limpide, profond, la pénétra. Son cœur se dilata, tout en elle vacillait, se fissurait, quelque chose de nouveau naissait, germait ; un sentiment, une sensation inexpérimentés jusqu’alors montaient en elle. Le regard de cet homme ne correspondait en rien à tous les regards des hommes qu’elle avait connus. Tout son être tressaillait, touché au plus profond.
Elle sent, elle sait déjà que celui qui lui parle est Celui qu’elle a toujours attendu, espéré, Celui qui lui donnerait la plénitude, lui rendrait l’entièreté de tout son être. Elle sait mais elle n’ose y croire !
« Comment toi qui n’as rien pour puiser me donnerais-tu à boire ?... »
Elle sait déjà, malgré sa question, que Jésus ne parle pas de l’eau du puits, elle sait car déjà, malgré l’air sec, la brûlure des rayons du soleil, qu’une part d’elle est désaltérée, comblée !
Elle goûte l’eau que Jésus, en sa seule présence, dans son regard miséricordieux, la douceur de ses mots, de ses réponses, lui donne à boire ! Une saveur nouvelle, vivifiante l’envahit !
« Donne moi de cette eau, que je n’aie plus jamais soif, que je n’aie plus à venir puiser ici ! »
Oui que la Samaritaine n’ait plus à venir chaque jour dans la solitude de l’heure, du lieu, du cœur, pour trouver refuge, se retirer de sa vie imparfaite et pesante ni puiser à la source des Anciens ! Qu’elle n’ait plus jamais à venir puiser ici !
Et déjà, elle comprend que pour ne plus avoir soif, il lui faut vivre en vérité : « je n’ai pas de mari ! ». Jésus déverse ses flots d’eau vive dans le cœur repentant de cette femme. « Moi qui te parle, je suis le Messie ! »
Chaque mot, chaque enseignement, chaque réponse que Jésus lui a donnés s’est propagé, infiltré en elle comme une onde ruisselante, douce, rafraîchissante puis, petit à petit, au fur et à mesure de l’échange, les flots se sont transformés en torrent.
La Samaritaine n’a plus soif, elle en oublie sa cruche, la chaleur écrasante, la poussière de l’air desséché, elle court, elle court annoncer la bonne nouvelle !
L’eau vive qui jaillit coule en elle , déborde, déborde, se répand sur les habitants de Sykar.
Et eux qui « n’avaient rien à voir en commun avec les juifs » vont à la rencontre de Jésus. Ils ont soif ! Comme la Samaritaine, ils veulent goûter à l’Eau Vive !
Jésus, toi qui connais nos cœurs desséchés, abîmés par nos péchés, viens réparer ce qui est brisé. Remplis de tes flots d’amour et de Miséricorde tout ce qui était tari. Fais jaillir en nous ta Source, redonne vie à ce qui était mort. NOUS AVONS SOIF ! Amen !
Vie-Eve (07/12/2007)